Pour décoloniser l’enfant

« Les adultes, lors même qu’ils témoignent de compréhension à l’égard des enfants en tant que personnalités, ce refusent assez souvent à admettre qu’ils puissent avoir une existence collective, entre eux et pour eux, et, au lieu de faciliter la création d’une société jeune, s’y oppose par différents moyens : la discipline, les punitions, la compétition, l’appel à l’amour-propre et d’autre moyen visant à obliger l’enfant à se conformer à la société adulte. »

Gérard Mendel – 15e conférence générale de l’Unesco – 1968 – rapport préparatoire

 

La bombe atomique n’a pas (pas encore ?) Détruit la vie sur la planète. Mais le bouleversement des instruments de production que l’on nomme la révolution technologique, et dont la bombe est l’un des produits, a bel et bien, elle, désintégrer la socio-culture traditionnelle. Nous n’avons pas fini d’en percevoir toutes les conséquences.

L’une des thèses de cet essai et que toutes les sociétés, depuis les débuts de l’humanité, s’appuyait sur le phénomène autorité. En particulier, toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme, aussi bien religieuse qu’économique, aussi bien du colonisé, de la femme, que de l’enfant, utilisaient à leur profit le phénomène autorité, dérivé de la dépendance biologique et psycho – affective du petit enfant par rapport aux adultes.

Ainsi,  la désagrégation de notre société, à laquelle nous assistons quotidiennement dans une succession d’Hiroshimas  culturels, est à la fois bien plus profonde encore qu’elle peut de le sembler, est atteint, à des titres divers, toutes les sociétés qui, sur la planète, se trouvent en contact avec la révolution technologique (1).

Cette désagrégation touche aux racines mêmes des rapports de l’individu avec soi-même et avec la société. Au point même que l’on peut se demander si l’individu, la notion d’individu, la pensée individuelle, survivre à la crise actuelle.

L’aspect le plus apparent de cette crise et la disparition progressive de tout consensus social, c’est-à-dire cet accord implicite sur un certain nombre de valeurs et de croyances, qui faisait du corps social un ensemble vivant et qui réglait les rapports de l’individu et de la société. Par société, nous entendons ce qui a toujours existé : la direction d’une majorité de petits par une minorité de grands.

En réalité, seule victime de l’habitude, de l’illusion, de l’absence de perspective d’ensemble, car d’ores est déjà, il n’existe plus que l’apparence des institutions socio-culturelles. Tous les jours, le peu qui leur reste encore de vie se retire d’elles. Que le vent se lève, et tomberont comme château de cartes.

Quel vent ?

Notons d’abord qu’un nouveau consensus prend, sous nos yeux, le relais de l’ancien qui était fondé sur le phénomène autorité. Les rapports sociaux sont devenus depuis le rapport de force. Groupes de pressions ou syndicats tiennent tête à l’État qui, lui, renforce ses polices au fur et à mesure que son autorité décroît.

Mais, dans une telle relation de force qui fut bon marché du droit et des valeurs, l’individu face à l’État n’est rien. Rien. Que l’information soit muselée et les passions excitées, manipulées : le vent qui se lèvera alors ne sera certes pas celui de la liberté !

La société fondée sur la force pure, nous la connaissons, nous en connaissons du moins sa Préhistoire qui fut le fascisme et le stalinisme. Celle qui pourrait s’instaurer serait bien mieux armée pour survivre : technologie policière, conditionnement psychologique, psychopharmacologie, psychothérapie « rééducatrices » et « normatives »

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Ainsi risque de se produire la conjonction de l’angoisse et de la culpabilité individuelles et du renforcement policier de l’état pour promouvoir  un consensus social basé sur la force pure. Un nouvel ordre qui sera une barbarie technologique.

L’autre consensus possible _peut-être_ et souhaitable_ du moins le pensons- nous _et le lecteur l’a déjà  compris, celui qui serait basé sur le conflit non plus occulté mais reconnu, assumé, institutionnalisé, valorisé.

Il ne parait guère possible qu’ une telle évolution , qui marquerait un pas décisif, se produise si d’une part les anciennes valeurs n’étaient pas reconnues pour ce qu’elles sont et conservé à ce titre et si d’autre part le phénomène conflit ne devenait pas la valeur collective nouvelle venant s’ajouter aux anciennes.

Le conflit n’étant pas supportable sans l’apprentissage à la fois de sa désoccultation et de sa manipulation et sans l’aide de la société, une telle évolution n’est pas concevable sans une révolution pédagogique.

Révolution pédagogique, d’abord, parce qu’un apprentissage doit commencer le plus tôt possible, est nécessaire pour apprendre à vivre avec les conflits  en gardant les yeux ouverts. Et rien ne va plus à l’encontre de se mûrissement que l’ombre porté de la société sur l’enfance. De toujours, générations après générations, l’on a ajouté à l’inévitable culpabilité à se développer de l’enfant une sur-culpabilité sociale : « Cela n’est pas pour toi, ne te regarde pas. Cela concerne les grands. Et si tu n’obéis pas, nous ne t’aimerons plus. »

Révolution pédagogique, ensuite, parce que au sein de la désagrégation générale de la société , l’enfant et l’adolescent  se trouvent aux premières lignes, aux avants postes, exposés directement aux conséquences de cette modification brutales intervenue au niveau des forces productives.     C’est donc à leur niveau que doit être en priorité, trouvé un modus vivendi.

Traditionnellement, l’enfant était coulé au moule de la société ambiante. Ce fait permet de comprendre  aisément  qu’il ne pouvait pas être l’acteur d’un progrès social éventuel, mais simplement  son reflet , puis une fois devenu adulte , celui qui transmettait, voire, au mieux, amplifiait ce progrès .

(1). « La véritable tâche de la société bourgeoise et de réaliser, tout au moins dans ses grands contours, le marché mondial et la production fondée par lui. » Marx, lettre à engels,1858. Il ajoutait : «… Cette tâche me paraît achevée… » Elle n’est, en fait, qu’aujourd’hui en voie d’achèvement.

 

Pour décoloniser l’enfant

Sociopsychanalyse de l’autorité

Gérard Mendel

Petite bibliothèque Payot