De faire des enfants demain

Révolution dans la procréation

jacques Testart – Éditions du Seuil

Puisque la réglementation de la bioéthique ne fait qu’aller vers une permissivité croissante, la question se pose de savoir jusqu’où ira la médicalisation de la procréation. La plupart des futurologues, tant amateurs que professionnels, ont quelques idées bien arrêtées sur la fabrication des enfants dans les décennies prochaines. Outre les aspects mécaniques de l’engendrement (mythe de la gestation en incubateur), deux voies surtout, apparemment antagoniques, sont avancées pour les futures conceptions . L’une implique le clonage et l’autre le géniteur universel.

Dans la première de ces hypothèses, les humains pourraient se reproduire à l’identique sans                « polluer » leur propre génome avec celui d’un autre, un projet qu’alimenteraient les ego individuels, mais qui, par chance, vient s’échouer sur des réalités biologiques que nous évoquerons. L’autre hypothèse est élitiste puisque quelques individus, sélectionnés pour des qualités rares, éventuellement obtenues par transgenèse, auraient pour mission d’engendrer la génération suivante. Seule cette voie est techniquement réalisable, comme le montre la sélection industrielle des animaux d’élevage, mais elle demeurera une fiction tant que nos sociétés conserveront un vernis démocratique.

Toutefois, les deux directions évoquées ne sont pas antagoniques dans leur rapport à l’altérité : se reproduire seul ou engendrer avec un géniteur anonyme sont deux mythes qui laissent peu de place à l’Autre, même l’enfant est accueilli dans un couple socialement constitué. Comment prévoir l’avenir de l’engendrement si on ne veut pas se livrer à ces scénarios de fiction commodément situés dans des systèmes autoritaires dirigés par de méchants dictateurs ?

Je crois que cela passera tout bêtement par la surmédicalisation et l’élargissement de ce qu’on fait déjà, ici ou là. Élargissement de l’assistance médicale à des couples dont la stérilité n’est pas démontrée, à des individus seuls ou en couple de même sexe, élargissement de la sélection génétique à la plupart des individus à naître et à de très nombreuses caractéristiques, élargissement de la prise en charge des façons d’engendrer, du contrôle des « bonnes » naissances, de la surveillance des « bons » comportements…

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Nous montrerons ici que se met en place une véritable révolution dans la procréation. Cette révolution est double. D’une part, il s’agit d’une révolution comportementale qui permettra l’engendrement en dehors d’un couple hétérosexuel ou en dehors des contraintes physiologiques telles que l’âge. D’autre part, se profile une révolution technologique, partie prenante de la révolution numérique qui s’empare de nos existences au moyen des statistiques : comme les autres moments du vivant, la conception sera soumise aux algorithmes informatiques afin que l’œuf soit évalué dès le début, une «  précaution  » initiale préparant toutes les autres.

C’est ainsi que, sauf imprévu, tous les enfants devraient être choisis dans les éprouvettes des biogénéticiens bien avant la fin de ce siècle. Conçue initialement pour compenser des handicaps à procréer, l’assistance médicale à la procréation (AMP) a vu son chantier s’élargir rapidement  : elle s’est d’abord ouverte à la prévention de maladies génétiques avec le tri des embryons puis, discipline reconnue, elle n’a pas su inventer une régulation internationale (voir l’expansion du tourisme médical) et, finalement, elle est devenue un terrain d’enjeux pour des lobbies bien organisés (praticiens, citoyens défendant des intérêts particuliers, industriels en embuscade).

Au-delà de compenser un handicap affectant cette fonction essentielle qu’est la procréation, l’AMP se transforme aujourd’hui en moyen de dépasser certaines propriétés de notre espèce en effaçant la différenciation sexuelle, en niant le vieillissement, en programmant l’identité biologique des enfants à naître, et finalement en se proposant comme alternative généralisable à la procréation aléatoire, mesquine, irrationnelle, celle à qui doivent la vie toutes les personnes déjà nées depuis le début des temps. C’est en quoi elle se profile de plus en plus comme un élément du projet transhumaniste.   Le système néolibéral qui gère l’économie productiviste est capable de faire toutes les concessions éthiques nécessaires à la révolution des comportements, chacun devenant maître de son plaisir comme de ses désirs, pourvu que la qualité du produit enfant soit sous contrôle.

Mais, par ailleurs, le monde connaît de graves difficultés économiques qui pourraient rendre insupportable aux communautés la charge d’interventions biomédicales, surtout si elles sont controversées. Bien des projets de haute technologie, dont ceux qui se réclament d’un dépassement de l’humain, paraissent ignorer que la glorieuse période d’abondance est terminée et qu’alors, quelles que soient les prouesses techniques, les projets délirants finiront en délires avortés. Si la décroissance économique est inévitable, nous entrerons dans une ère de frugalité durable, laquelle sera peut-être capable, mieux que les lois de bioéthique, de poser des limites à la démesure.

 

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