Les Pouponnières du IIIe Reich Lebensborn

L’histoire du programme du Lebensborn.

Nés en Allemagne mais aussi dans les pouponnières spéciales installées par les nazis en Belgique, aux Pays-Bas, en France, au Danemark et surtout en Norvège, leurs témoignages sont poignants. Pour ces enfants de la honte, l’après-guerre a souvent été terrible. Détestés et maltraités en Norvège ou pris en charge par l’Assistance publique en France avant d’être placés chez des mères nourrices afin d’effacer les traces du passé, ils racontent ces années de souffrance et de déni.

En 1943, pendant que l’Europe a faim, on ne manque de rien dans les maternités du Lebensborn. Durant quelques mois, les jeunes mères sont suivies par les meilleures sages-femmes et d’excellents médecins. Les enfants qui naissent handicapés sont rapidement transférés pour subir ce que l’administration nazie appelle le « traitement spécial », autrement dit l’euthanasie. Un mois après leur naissance, les « bons » bébés sont baptisés selon le rite national-socialiste : le père SS brandit sa dague et bénit l’enfant. Les principaux responsables du programme Lebensborn ont été jugés à Nuremberg. Aucun d’entre eux n’a été condamné. Il paraît que certains responsables américains parlaient de ces maternités comme d’« un modèle d’institution sociale ».

Auteur de plusieurs documentaires remarqués (Shoah par balles, l’histoire oubliée ; Uranium, le scandale de la France contaminée ; Les Enfants du Goulag, entre autres), Romain Icard a une fois de plus effectué un travail passionnant.

Librement adapté du livre de Boris Thiolay (Lebensborn, la fabrique des enfants parfaits, chez Flammarion), ce documentaire propose des images d’archives très rares filmées dans ces maternités d’un genre spécial. Et donne la parole à une dizaine d’enfants nés de ce programme dément, aujourd’hui âgés d’environ 70 ans.

Documentaire – Romain Icard – France 3, 2013, 52 minutes

Extrait pour en savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/03/14/les-pouponnieres-du-iiie-reich_4380621_3246.html#FjH2KWeHvlWSXmfD.99

 

 

Le Livre – Lebensborn – la fabrique des enfants parfaits:

Enquête sur ces Français nés dans des maternités SS

Boris Thiolay

 

Les enfants du Lebensborn (les « Fontaines de vie ») sont des orphelins de l’histoire. En 1945, dans les décombres de l’Europe où plus de 40 millions de personnes ont été anéanties, ils sont quantité négligeable. La nature criminelle de ce qu’ils ont subi n’est même pas établie aux yeux des Alliés. D’ailleurs, quatre des responsables SS de l’organisation – jugés en 1948 en compagnie d’autres cadres nazis chargés des questions raciales, lors de l’un des douze grands procès de Nuremberg –, sont libérés à l’issue des audiences. Ils ont convaincu le tribunal que les maternités étaient une « œuvre de charité ». Seule leur appartenance à la SS sera finalement sanctionnée. Max Sollmann, l’administrateur en chef, Gregor Ebner, le médecin chef, et Günther Tesch, le directeur du département juridique – tous trois étant détenus depuis 1945 – sont relâchés : leur peine était purgée. Inge Viermetz, l’assistante de Sollman, elle, sera tout simplement acquittée. Le Lebensborn est pourtant bien au cœur du fanatisme prêché par les idéologues nazis. Pour eux, la supériorité de la « race aryenne » est un dogme, et la nécessité de protéger la pureté de son sang, une mission sacrée. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, des théories pseudo-scientifiques, appliquant à l’homme les travaux de Darwin sur la sélection naturelle, ont forgé l’idée d’une hiérarchie entre les races. Ces thèses constituent notamment le terreau de l’antisémitisme dit « moderne » : les « Aryens », nobles, idéalistes et viscéralement attachés à la terre, sont menacés par les « Sémites », nuisibles, parasites et apatrides. À la même époque, des médecins hygiénistes affirment que pour combattre les risques de dégénérescence, la société doit se protéger de ses éléments faibles, ou « nocifs » : handicapés, malades mentaux, alcooliques, criminels, etc. Les théoriciens du National-socialisme vont enjoliver cette mixture raciste et eugéniste de mythologie germanique et scandinave. Exaltant les vertus héroïques du vieux peuple germain, qui accomplit ainsi sa destinée grandiose et tragique sans jamais faiblir… Un peuple de surhommes, à l’image de Siegfried, le personnage central de la saga médiévale des Nibelungen : « Ceux de la brume ». Ces guerriers grands et blonds, aux pouvoirs surnaturels, vont désormais être enrôlés dans un nouveau combat. Adolf Hitler l’annonce sans détour dans Mein Kampf (1925) : « La race aryenne nordique est la détentrice de toute culture, la vraie représentation de toute l’humanité et c’est par application divine que le peuple allemand doit maintenir la pureté de sa race. La race germanique est supérieure à toutes les autres et la lutte contre l’étranger, contre le juif, contre le slave, contre les races inférieures, est sainte. » Un homme devient le grand ordonnateur du projet. Cet homme de taille moyenne, brun, au menton fuyant, arborant une fine moustache et de petites lunettes cerclées, c’est Heinrich Himmler. Après Adolf Hitler, le Reischführer de la SS est le personnage le plus puissant du régime. Au fil des années, entre 1933 et 1945, il se trouve être tout à la fois à la tête des services de police et de sécurité, de l’organisation des camps de concentration et d’extermination, d’unités militaires (Waffen-SS) rassemblant plus d’un million de soldats, d’instituts de « recherche » sur les questions raciales… Il dirige un État dans l’État. Himmler, féru de mystique et d’occultisme, nourrit une obsession maladive : redonner à la « race » allemande sa supposée pureté originelle. La SS, l’Ordre noir dont le sigle imite les runes du vieil alphabet nordique, sera le creuset de son œuvre. Elle doit « devenir une troupe qui rassemble le meilleur matériau humain que l’on peut encore trouver en Allemagne, la SS doit préserver la communauté du sang, toute dégénérescence doit être impossible », déclare-t-il en 1931. Dès lors, pour être acceptées, les nouvelles recrues doivent démontrer que leur généalogie ne comprend que des ancêtres d’origine aryenne depuis 1800, et même 1750 pour les aspirants officiers… Tous passent une visite médicale comprenant des mesures anthropométriques effectuées par les Rassenprüfer, les « examinateurs de race » : des pommettes saillantes, une longueur jugée excessive du tronc, des jambes légèrement arquées ou un système pileux trop développé suffisent pour être recalé. Les fiancées et futures épouses des SS doivent subir une sélection équivalente. Afin d’obtenir leur autorisation de mariage, les couples déposent un dossier, accompagné d’une photo des prétendants en pied, côte à côte. Ainsi, on évalue « l’harmonie » entre les deux individus et leur capacité à avoir une descendance « racialement valable ». Les familles adoubées par la Schutzstaffel se voient décerner un livret de famille spécifique. Elles sont censées avoir au moins quatre enfants. En 1937, Himmler précise sa vision : « La SS est un ordre militaire National-socialiste d’hommes résolument nordiques, communauté de clans liée par serment […]. Ce que nous voulons créer pour l’Allemagne dans les siècles à venir, c’est une caste supérieure élue, une nouvelle noblesse, dont les rangs seront constamment grossis parmi les meilleurs fils et filles de notre peuple, une noblesse qui jamais ne vieillira, qui remontera dans la tradition et le passé […] jusqu’aux époques les plus sombres, et qui insufflera une jeunesse éternelle à notre peuple. » Mais, pour cela, il faut toujours plus d’enfants. Les hommes sont alors encouragés à procréer en dehors du mariage. Surtout, c’est maintenant l’ensemble des Allemandes, du moins celles qui correspondent aux critères, qui doivent participer à l’effort national… Le rôle dévolu à la femme est d’être une mère au foyer, son devoir suprême est d’accomplir le Fürherdienst, le « service du Führer » : offrir à Adolf Hitler le maximum de nouveau-nés. C’est dans ce contexte que les statuts du Lebensborn eingetragene Verein (association déclarée) sont déposés le 12 décembre 1935, à Berlin. À l’origine, l’organisation est placée sous la tutelle du Rasse- und Siedlungshauptamt (RuSHA), le « Bureau pour la race et le peuplement », chargé de contrôler la pureté raciale et idéologique des membres de la SS. Ces statuts seront bientôt transférés à Munich, la ville natale de Himmler. Le Lebensborn établira alors son siège au numéro 1, Poschingerstrasse, dans l’ancienne villa familiale de l’écrivain Thomas Mann, exproprié après avoir fui l’Allemagne dès 1933. L’organisation L s’installera ensuite, à partir du mois de janvier 1940, au 3-7, Herzog-Max-Strasse, à l’emplacement de l’ancienne grande synagogue, incendiée lors de la Nuit de Cristal. La création de l’organisation L est entourée d’un secret absolu : le Reichsführer-SS n’en révélera l’existence, dans une circulaire diffusée aux officiers, que neuf mois plus tard, au moment où il la placera directement sous son autorité personnelle. Au moment, aussi, où la première maternité, qui peut accueillir 30 femmes et 55 nourrissons, ouvre ses portes à Steinhöring, un petit village de Bavière. Les membres de la SS sont tenus de cotiser à l’association4.

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Le Lebensborn, ce projet fou visant à fabriquer une race supérieure, est une organisation criminelle. Et, pour remporter la guerre qui se prépare, Himmler veut apporter au Reich tous les individus racialement valables : « Chaque Germain du meilleur sang que nous amenons en Allemagne […] est un combattant de plus pour nous et de moins pour l’autre côté, déclame-t-il en 1938. J’ai vraiment l’intention de chercher ce sang germain dans le monde entier, de le soustraire et de le voler où je peux. » Ce sera chose faite dans les immenses territoires conquis à l’Est, à partir de 1939, puis de 1941, après la rupture du pacte germano-soviétique. Des populations entières seront déplacées, des dizaines de milliers d’enfants sélectionnés et enlevés. Car l’essentiel est là : les « Fontaines de vie » sont indissociables de la machine de mort nazie. Dans le grand empire qui doit régner sur l’Europe, dans le futur État SS modèle peuplé de « 120 millions de Germains nordiques en 1980 » que Heinrich Himmler rêve bientôt d’instaurer sur le territoire de l’ancienne principauté de Bourgogne – de l’Artois à la Suisse romande, en passant par le Hainaut, le Luxembourg, la Lorraine, la Picardie, la Champagne, l’actuelle Bourgogne et la Franche-Comté –, il n’y a pas de place pour les « indésirables ». Ces derniers doivent être mis hors d’état de se reproduire ; ou, mieux encore, disparaître. Le cycle des persécutions enclenchées dans le même mouvement que celui de la naissance des Lebensborn ne cessera de s’amplifier, de se perfectionner. Il faut ici en rappeler les étapes les plus marquantes. Mars 1933. Deux mois après l’accession au pouvoir de Hitler, le premier camp de concentration est ouvert, à Dachau, près de Munich. Janvier 1934. Une loi impose la stérilisation forcée aux personnes souffrant de maladies considérées comme héréditaires. Quatre cent mille Allemands y seront soumis. Septembre 1935. À Nuremberg, les lois de « protection du sang allemand et de l’honneur allemand », qui interdisent les mariages et relations sexuelles entre « juifs » et « citoyens allemands », sont promulguées. 9 et 10 novembre 1938. Lors du pogrom de la Nuit de Cristal, des milliers de commerces et d’entreprises juives sont saccagés, plus de 250 synagogues détruites, une centaine de juifs assassinés et au moins 25 000 sont envoyés en camp de concentration. Septembre 1939. L’invasion de la Pologne, premier épisode de la Seconde Guerre mondiale, ouvre la voie à la réduction en esclavage et au massacre de millions de gens. Automne 1939. Mise en place en Allemagne de la mort « miséricordieuse », un programme d’euthanasie, en fait d’assassinat, qui touchera 150 000 personnes aliénées ou handicapées. Été 1941. Les Einsatzgruppen (groupes d’intervention) entament, dans les territoires conquis sur l’Armée rouge, des campagnes d’exécutions par fusillades systématiques de résistants, de militants communistes, de prisonniers soviétiques et de plus d’un million de juifs. Décembre 1941. Au camp d’extermination de Chelmno (Pologne), le commando spécial SS dirigé par le commandant Herbert Lange utilise des chambres à gaz mobiles, installées dans des camions, pour accélérer la mise à mort des juifs. 20 janvier 1942. Au cours de la conférence de Wannsee, présidée par Reinhard Heydrich, les modalités techniques de la « Solution finale » sont affinées. onze millions de personnes sont concernées. De Dachau à Auschwitz-Birkenau, l’ombre portée de Heinrich Himmler et de ses complices est immense. Le Reichsführer-SS sillonne en tous sens l’Europe occupée à bord de son avion personnel, en train spécial ou au volant d’une Volkswagen Kübelwagen (voiture « bassine »), l’ancêtre tout-terrain de la Coccinelle. Lors de ses visites d’inspection, son Excellence s’attache au moindre détail, avec une méticulosité oppressante. Il veut tout contrôler. La moindre procédure qui lui déplaît est immédiatement modifiée. Sanglé dans son uniforme noir, il prend plaisir à passer en revue les détenus dans les camps de concentration. En août 1941, à Minsk, Himmler assiste à l’exécution par balles d’une centaine de juifs – hommes, femmes, enfants – opérée par un détachement de l’Einsatzgruppe B. Ce jour-là, devant le spectacle, il montre des signes de nervosité. À chaque salve, son regard s’échappe vers le sol. Le général SS Erich von dem Bach-Zelewski lui fait remarquer qu’il n’y a là que cent juifs. « Mais regardez les yeux de nos hommes… Ils sont traumatisés pour le reste de leur vie », lui dit en substance, l’officier supérieur. Quelque temps plus tard, Himmler donnera des instructions pour que l’on organise des conditions de travail plus humaines pour les tueurs. Le recours aux camions à gaz va se généraliser, en attendant la construction de « véritables » camps d’extermination. Pourquoi revenir avec insistance sur ces événements connus ? Parce que, durant la même période, avec la même obsession, Heinrich Himmler veut tout connaître de la vie quotidienne dans les Lebensborn. Il s’enquiert de la qualité de la nourriture, de la variété des menus qui y sont servis… De la taille et du poids des nouveau-nés, de la forme de leur nez. Il envoie des lettres de félicitations personnelles aux jeunes mamans, s’efforce de répondre aux courriers qu’elles lui adressent, pose parfois en photo avec l’une d’elles à l’occasion d’une de ses apparitions dans une maternité. À partir de 1942, il propose même d’être le parrain des enfants nés le 7 octobre, jour de son anniversaire. Aussi, l’annonce du décès prématuré d’un petit pensionnaire plonge les dirigeants de l’organisation L dans la consternation, et leur créateur dans une colère froide. La perte de ce « bon sang » leur est absolument intolérable. Peut-on comprendre l’inconcevable ?

Aux yeux des maîtres de la SS, les « Fontaines de vie » représentent un enjeu fondamental, un projet synonyme d’éternité. Comparativement, le combat engagé contre les « ennemis du Reich », en particulier la mise en œuvre d’un procédé industriel menant à l’extermination totale des juifs, ne constitue qu’une simple étape sur la voie du Nouvel ordre européen. D’ailleurs, à la fin de 1943, Heinrich Himmler parle déjà au passé de la question juive. Au même moment, ses services planifient l’ouverture d’une nouvelle maternité en France : le cours de la guerre bascule pourtant en faveur des Alliés, le monde est à feu et à sang, mais rien ne doit entraver l’avènement de la « race supérieure ». Car, bientôt, une fois la paix rétablie – c’est-à-dire après la disparition définitive de toute « souche » d’êtres inférieurs susceptibles de vouloir se venger –, le grand empire germanique pourra entamer son « règne de mille ans ». Le Lebensborn est la matrice du monde voulu par les nazis. Par un processus simultané de destruction et de procréation de groupes humains, il s’agit d’une entreprise de substitution biologique. Irréversible. Erwin, Gisèle, Christiane, Walter, Ingrid et les milliers d’autres bambins nés entre 1935 et 1945 devaient former la première génération de cette expérience inédite dans l’histoire de l’humanité.

Extrait du livre :

Lebensborn – la fabrique des enfants parfaits:

Enquête sur ces Français nés dans des maternités SS

Boris Thiolay

Flammarion