France 5
réalisatrice Sophie Przychodny
Aux Etats-Unis, il est possible de “redonner” un enfant adopté, en le proposant à d’autres parents… Cette pratique effarante de la “ré-adoption” commence à susciter des polémiques. Réalisatrice d’un film aussi éclairant que déstabilisant, Sophie Przychodny livre quelques clés pour comprendre ce fait de société.
Correspondante de France 24 et rédactrice en chef du bureau de Babel Press à Miami, Sophie Przychodny a enquêté depuis 2014 sur ce phénomène déroutant des « ré-adoptions », en plein essor outre-Atlantique. Cette pratique tolérée par l’opinion américaine est considérée par beaucoup comme une seconde chance pour des enfants abandonnés, condamnés à errer de foyers en orphelinats. Série de témoignages bouleversants, le documentaire Etats-Unis, enfants jetables dénonce en filigrane les carences de la protection sociale dans l’Amérique d’Obama. Diffusé sur France 5, ce mardi, dans le cadre d’une soirée spéciale, ce film choc pose de nombreuses questions et dévoile un système pernicieux, qui prospère sur fond d’aveuglement, de consumérisme et d’intentions mercantiles. Interview de la réalisatrice et révélations sur le nouveau cauchemar de l’Amérique moderne.
Comment êtes-vous arrivée à ce nombre inquiétant de 25 000 petits Américains, concernés par la ré-adoption, chaque année, soit un quart de toutes les adoptions du pays ?
Ce n’est pas moi qui ai fait ce décompte. C’est une estimation qui émane des services publics américains. Le chiffre a été établi à partir de témoignages de familles, d’auditions d’enfants, d’estimations effectuées par des militants associatifs, et également en comptant les annonces publiées sur Internet par ces agences privées, spécialisées dans la ré-adoption. Cela demeure une estimation puisqu’il n’existe bien entendu aucun chiffre officiel sur le sujet. Les témoignages directs demeurent encore rares et compliqués à recueillir.
Le phénomène a-t-il été suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics ?
L’ampleur du problème n’est pas sous-estimée, puisqu’une dizaine de députés travaillent actuellement sur une loi pour encadrer et limiter cette pratique. Ces élus et le rédacteur de ce projet de loi, James Langevin (député du deuxième district de Rhode Island, ndlr), que l’on voit dans le film, savent que la bataille sera longue et qu’il leur faudra monopoliser beaucoup de fonds. Ils estiment qu’au moins cinquante millions de dollars seraient nécessaires, à l’échelon national, uniquement pour avoir les structures sociales capables de venir en aide à ces familles. Hélas, vu le calendrier électoral, ce n’est pas du tout un sujet prioritaire dans la course à la présidentielle. Je crois qu’après l’investiture du nouveau président, en décembre, il faudra encore attendre au moins un an et demi pour que le pouvoir législatif puisse agir.
Comment expliquez-vous le manque de réaction de la population américaine ?
C’est vrai que cela nous paraît étrange à nous, Européens, mais cette pratique ne choque pas tant que cela les Américains : la ré-adoption est entrée dans les mœurs d’une certaine manière. On considère que des enfants adoptés qui n’étaient pas heureux dans telle famille vont pouvoir s’épanouir ailleurs. Pour beaucoup, cette possibilité est précieuse : si vous vous accrochez sans cesse avec l’enfant que vous avez adopté, autant pouvoir mettre fin aux tensions ! Un peu comme un mariage malheureux, que l’on peut rompre en divorçant ! C’est tout à fait dans la façon de penser américaine. En revanche, la population est choquée que des pédophiles aient pu profiter du système. Les récents scandales ont fait évoluer les mentalités. Il y a quelques mois, le député républicain de l’Arkansas, Justin Harris, a été obligé de démissionner à cause d’un problème de ré-adoption : il avait proposé ses jumelles de six ans à un ami professeur, qui s’est avéré être un pédophile ! L’homme a abusé des fillettes, il a été arrêté et les petites, replacées en foyer… Cette affaire a suscité un énorme tollé. Toutes les chaînes de télé, CNN la première, en ont parlé. Avec quelques autres scandales de ce type, les Américains ont enfin pris conscience qu’il y avait un réel besoin de faire évoluer la législation. Sans pour autant vouloir l’interdire, l’opinion pense qu’il faut encadrer plus strictement la ré-adoption, notamment en rendant obligatoire la vérification des antécédents judiciaires et sociaux des adoptants. Et en évitant que des agences privées se permettent de publier des annonces sur Internet avec des photos pleine page des enfants, susceptibles d’attirer les pédophiles.
Extrait
Hélène Rochette
Télérama
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