Cette enfant emplissait sa berline de charbon plus vite que lui

« Encore ! dit Catherine en riant. » du fond de la mine !

« – Il ne faut pas faire attention, expliquait Catherine à Étienne. Ils gueulent toujours. Et elle reprit sa leçon, en fille obligeante. Chaque berline chargée arrivait au jour telle qu’elle partait de la taille, marquée d’un jeton spécial pour que le receveur pût la mettre au compte du chantier. Aussi devait-on avoir grand soin de l’emplir et de ne prendre que le charbon propre : autrement, elle était refusée à la recette. Le jeune homme, dont les yeux s’habituaient à l’obscurité, la regardait, blanche encore, avec son teint de chlorose ; et il n’aurait pu dire son âge, il lui donnait douze ans, tellement elle lui semblait frêle.

Pourtant, il la sentait plus vieille, d’une liberté de garçon, d’une effronterie naïve, qui le gênait un peu : elle ne lui plaisait pas, il trouvait trop gamine sa tête blafarde de Pierrot, serrée aux tempes par le béguin. Mais ce qui l’étonnait, c’était la force de cette enfant, une force nerveuse où il entrait beaucoup d’adresse.

Elle emplissait sa berline plus vite que lui, à petits coups de pelle réguliers et rapides ; elle la poussait ensuite jusqu’au plan incliné, d’une seule poussée lente, sans accrocs, passant à l’aise sous les roches basses. Lui, se massacrait, déraillait, restait en détresse. A la vérité, ce n’était point un chemin commode. Il y avait une soixantaine de mètres, de la taille au plan incliné ; et la voie, que les mineurs de la coupe à terre n’avaient pas encore élargie, était un véritable boyau, de toit très inégal, renflé de continuelles bosses : à certaines places, la berline chargée passait tout juste, le herscheur devait s’aplatir, pousser sur les genoux, pour ne pas se fendre la tête. D’ailleurs, les bois pliaient et cassaient déjà. On les voyait, rompus au milieu, en longues déchirures pâles, ainsi que des béquilles trop faibles. Il fallait prendre garde de s’écorcher à ces cassures ; et, sous le lent écrasement qui faisait éclater des rondins de chêne gros comme la cuisse, on se coulait à plat ventre, avec la sourde inquiétude d’entendre brusquement craquer son dos. – Encore ! dit Catherine en riant. La berline d’Étienne venait de dérailler, au passage le plus difficile. Il n’arrivait point à rouler droit, sur ces rails qui se faussaient dans la terre humide ; et il jurait, il s’emportait, se battait rageusement avec les roues, qu’il ne pouvait, malgré des efforts exagérés, remettre en place. – Attends donc, reprit la jeune fille. Si tu te fâches, jamais ça ne marchera. Adroitement, elle s’était glissée, avait enfoncé à reculons le derrière sous la berline ; et, d’une pesée des reins, elle la soulevait et la replaçait. Le poids était de sept cents kilogrammes. Lui, surpris, honteux, bégayait des excuses. Il fallut qu’elle lui montrât à écarter les jambes, à s’arc-bouter les pieds contre les bois, des deux côtés de la galerie, pour se donner des points d’appui solides. Le corps devait être penché, les bras raidis, de façon à pousser de tous les muscles, des épaules et des hanches. Pendant un voyage, il la suivit, la regarda filer, la croupe tendue, les poings si bas, qu’elle semblait trotter à quatre pattes, ainsi qu’une de ces bêtes naines qui travaillent dans les cirques. Elle suait, haletait, craquait des jointures, mais sans une plainte, avec l’indifférence de l’habitude, comme si la commune misère était pour tous de vivre ainsi ployé. Et il ne parvenait pas à en faire autant, ses souliers le gênaient, son corps se brisait, à marcher de la sorte, la tête basse. Au bout de quelques minutes, cette position devenait un supplice, une angoisse intolérable, si pénible, qu’il se mettait un instant à genoux, pour se redresser et respirer. »

« Germinal » par Émile Zola

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