Retour sur un épisode noir de l’histoire argentine.
Pendant la période de dictature, des milliers de militaires ont séquestré de 1976 à 1983 des femmes enceintes pour les faire accoucher dans des maternités clandestines. Ces personnes ont assassiné les mères pour leur voler leurs bébés. Trente-cinq ans après ce drame, un procès exceptionnel s’ouvre, à Buenos Aires, à l’encontre de deux anciens présidents de la République et neuf autres dignitaires de la dictature pour «vol de bébés, plan systématique d’Etat et crime contre l’humanité». Ce procès se tient grâce à la volonté d’un groupe de femmes surnommées les «Grands-mères de la place de Mai». Celles-ci ont réussi à retrouver 107 des «500 bébés volés de la dictature».
Pendant la dictature argentine (1976-1983), cette pratique fut érigée en système : la junte enlevait et séquestrait des femmes enceintes puis, après l’accouchement, les tuait et s’appropriait leurs enfants, considérés comme « butin de guerre ».
Les nouveau-nés étaient ensuite confiés à des familles idéologiquement proches du régime. Longtemps, les parentes des disparues, réunies dans l’association des Grand-mères de la place de Mai, ont lutté seules, dans l’ombre, pour réunir des preuves et tenter de retrouver leurs petits-enfants. Il a fallu attendre 2012 pour que s’ouvre enfin un procès historique pour « vol de bébés, plan systématique d’Etat et crimes contre l’humanité », mettant en cause deux anciens présidents.
Lui-même exilé politique, Alexandre Valenti s’appuie sur ce moment charnière pour retracer le combat exemplaire des grand-mères, grâce à qui, notamment, des tests génétiques ont été systématisés, permettant à ce jour de retrouver 107 des 500 enfants.
A la parole de ces femmes se mêle celle, tout aussi poignante, d’ex-bébés volés, aujourd’hui jeunes adultes, qui apprennent à renouer avec leur véritable identité. S’il pèche sur la forme (on s’agace de la multiplication de reconstitutions dramatisantes), ce document précieux témoigne, à travers la multiplicité de ces expériences personnelles, de la schizophrénie d’un pays qui, jusqu’à l’abrogation des lois d’amnistie, en 2003, a vu bourreaux et victimes cohabiter sur le même sol.
Un pays qui, au fil des récents procès, apprend à soulager sa conscience, à se libérer du passé, à effectuer, enfin, un véritable travail de mémoire.
Télérama — Hélène Marzolf